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Conduire un tank Sherman

Beaucoup de personnes rêvent de conduire un tank, peu de personnes en ont l’occasion. J’ai eu cette chance, et pas avec n’importe lequel des tanks, mais avec un M4 Sherman, le char américain emblématique de la Seconde guerre mondiale, produit à près de 50000 exemplaires dans de multiples versions.

Le contexte

Tout commença lorsque je me suis présenté à l’association UNIVEM, près de Versailles qui regroupe près de 150 membres autour de la préservation, la restauration et l’entretien de véhicules militaires, principalement de la Seconde guerre mondiale. Cela faisait de nombreuses années que je parcourais les musées et manifestations de véhicules militaires, et je n’avais plus envie d’être simple spectateur, mais de participer à tout cela. Connaissant de vue cette association depuis de nombreuses années et me retrouvant en Île-de-France, j’ai rejoint l’association en tant que bénévole. Elle a la particularité de posséder de nombreux véhicules au nom de l’association, et non de ne rassembler que des véhicules appartenant à des collectionneurs. Les véhicules vont de la Jeep au char Sherman, en passant par le tracteur blindé M26 Pacific ou le GMC DUKW amphibie. En arrivant, je savais qu’ils avaient une épave de char Sherman non restaurée, mais je ne me doutais pas qu’il y avait un deuxième Sherman en cours de restauration. Au grès des affinités, sans chercher à être sur ce projet, je me suis finalement retrouvé à y travailler avec une équipe de jeunes. Cette dernière venait de relancer le chantier du Sherman il y a peu, alors qu’il avait été abandonné pendant plus de vingt ans à la suite de la dissolution de la première équipe, qui avait déjà fait une très grosse partie du travail dessus. Le char avait déjà son moteur installé, et pouvait se mouvoir par ses propres moyens, des travaux de finition étant nécessaires. Un peu plus d’un an plus tard, le char sortait définitivement de restauration. Ayant le permis poids lourd (condition requise pour des questions d’assurance pour piloter le char), je me suis retrouvé à en être un des pilotes pendant de nombreuses heures au cours des quelques évènements auxquels le char a pu participer.



Le char pendant sa restauration en 2017

Présentation du char

Il s’agit d’un Sherman M4A4T : char M4, version A4, le T est là pour « transformé ». En effet, le M4A4 est à l’origine équipé d’un moteur Chrysler Multibank, un assemblage de cinq moteurs 6 cylindres. Après la guerre, l’Armée française a changé les moteurs Multibank, trop complexes, pour des 9 cylindres en étoile Continental R-975. Et c’est cet impressionnant moteur de 15,9 litres de cylindrée, conçu à l’origine pour l’aviation, que l’on retrouve dans ce Sherman. Considéré comme un char de moyen tonnage, le Sherman pesait une trentaine de tonnes.

Le moteur radial, vu depuis les portes arrière (la trappe d’accès supérieure est ouverte)

Grâce à son numéro de série, nous savons qu’il a été construit en janvier 1943, et connaissons également son immatriculation américaine d’origine. Il a fait partie des 174 Sherman qui ont équipé les 1ère et 5ème Armées françaises et qui ont débarqué dans le sud de la France en Août 1944. Malheureusement, nous ne connaissons pas son nom de baptême, et de fait, nous ne connaissons pas son historique exact. Il n’a pas été détruit pendant la guerre et a donc subit le programme de transformation français, avant d’être déclassé et stocké sur la base militaire de Bourges. Il fût récupéré par l’association en 1993.

Le numéro d’immatriculation américain d’origine (ne connaissant pas son nom français, et possédant de nombreux véhicules américains, l’association a décidé de mettre le Sherman aux couleurs américaines, tel qu’il a pu sortir des usines en 1943, même si l’Armée américaine n’a jamais employé de M4A4)

Comme n’importe quel véhicule militaire (ou comme tout véhicule commercial aujourd’hui), des indications de poids et de dimensions sont indiquées à l’extérieur pour le transport.

Le Sherman a connu plusieurs types d’armement. Celui-ci est équipé en armement principal d’un canon de 75mm, et en secondaire d’une mitrailleuse de 7,62mm en co-axiale du canon, d’une mitrailleuse de 7,62mm dans la caisse, et d’une mitrailleuse de 12,7mm installée sur la tourelle. L’équipage était constitué de cinq personnes : le chef de char, le tireur (celui qui pointe et actionne l’armement) et le chargeur (celui qui insère les obus dans le canon) en tourelle, et le pilote et le copilote/mitrailleur dans la caisse.

Vue depuis l’unique trappe de tourelle, tout en haut. L’avant de la tourelle est à droite. On peut voir énorme culasse du canon de 75mm au centre, avec son garde pour protéger du recul non déplié. A sa droite, le siège du tireur. Derrière lui, le siège replié du chef de char. A gauche du canon se tenait le chargeur. A l’arrière de la tourelle, on trouvait la radio, et en-dessous, quelques obus de première urgence.

Vue du chef de char, tête sortie, depuis la trappe de tourelle (le support devant sert à accueillir une mitrailleuse de 12,7mm)

Vue du haut sur la trappe et le poste de copilote / mitrailleur de caisse (à l’avant droit)

Vue depuis le poste de copilote sur le poste de pilote (à l’avant gauche dans la caisse). L’avant du char est vers la droite.

Les commandes du Sherman

Il faut tout d’abord grimper sur le char « comme on peut » et ensuite descendre jusqu’au poste de pilotage en passant par la petite trappe, identique à celle du copilote. Il faut se mettre de côté et lever les bras pour réussir à passer tant la trappe est étroite. Une fois installé sur le siège réglable en hauteur et profondeur, les commandes se présentent de manière assez simple. On dispose de deux grands leviers qui assurent les freins et donc la direction : pour aller de l’avant, on lâche tout. Pour aller à droite, on tire sur le levier de droite qui freine la chenille de droite, faisant pivoter le char à droite, pareillement pour la gauche, et si on tire les deux, le char est freiné. On dispose de deux pédales de chaque côté des leviers, à droite, l’accélérateur, et à gauche, la pédale d’embrayage.

Le poste de pilotage vu depuis la trappe du pilote.

A droite on a le levier de vitesse accolé à l’énorme boîte de vitesse à 5 rapports avant et une marche arrière (les rapports 2 à 5 étant synchronisés !). Elle se trouve donc entre le pilote et le copilote et est directement reliée au différentiel situé juste devant, et au moteur à l’arrière par un arbre de transmission installé dans le fond de la caisse, sous le panier de tourelle.

L’énorme boîte de vitesse. A sa gauche, le levier de vitesse

A gauche, on retrouve le tableau de bord, pour contrôler l’état du char, ou encore commander l’éclairage ou le démarrage. Quelques détails encore : le câble d’accélérateur à main à droite au-dessus de la boîte de vitesse, la pompe d’amorce d’essence toujours à droite, ou encore la commande de la sirène, au-dessus de la pédale d’embrayage.

Le tableau de bord avec les commandes d’éclairage extérieur, d’éclaires du tableau de bord, des magnétos, les compteurs de vitesse, de régime moteur, de pression d’huile, de température, de niveau de réservoir et de charge de la batterie.

Le siège est donc réglable en hauteur. On peut conduire de deux manières. D’abord, trappe fermée, siège abaissé pour que la tête passe à l’intérieur, et on regarde à travers l’épiscope, on ne voit alors pas grand-chose. Ou alors, trappe ouverte, siège relevé et tête sortie pour avoir un beaucoup plus grand champ de vision (même si ce dernier reste limité, à cause du volume du char, et surtout, il n’y a aucune rétro-vision).

Voici un peu de ce que donne la vue quand on sort la tête, en bas, la protubérance de la trappe du pilote, et on aperçoit le canon en haut à droite.

Si on baisse la tête, on voit les leviers de directions (ici tirés en arrière et bloqués en position « frein de parking »). En haut, l’épiscope (qui fonctionne comme un périscope de sous-marin) qui permet de voir à l’extérieur, quand on conduit trappe fermée.



Conduire le char

Il est désormais temps de démarrer la bête. Il y a toute une procédure ! Avant de démarrer, il aura fallu au préalable faire à l’arrière du char les 52 tours de manivelle pour brasser le moteur. En effet, s’agissant d’un moteur en étoile, toute l’huile s’accumule dans le cylindre du bas. Aussi, le brassage permet de faire en partie remonter l’huile. Ensuite, l’électricité est mise en fonction. On amorce l’essence, on vérifie bien qu’on est au point mort tout de même, on allume les deux magnétos, légère pression sur l’accélérateur, et on actionne les contacteurs du démarreur : le moteur se met en route dans un bruit assourdissant ! A côté de nous, en bas à droite, on voit l’arbre de transmission tourner et siffler (attention de ne pas y mettre la main, ça nous l’arracherait !). En fonction du sens du vent, on peut voir le nuage de fumée provoqué par le démarrage : grosse odeur d’essence brûlée !

Quand il est froid, on laisse chauffer pendant 5 à 10 minutes, tout en contrôlant la pression d’huile. Il est ensuite temps de se mettre en route. La pédale d’embrayage est très dure, pas évident quand on est habitué aux véhicules modernes. Avec le levier de vitesse, on cherche à enclencher la vitesse. On démarre généralement en seconde. La 1ère et la marche arrière, très courtes, sont réservées aux manœuvres ou aux terrains très difficiles. Non synchronisés, il faut un certain doigté pour bien les enclencher en appuyant sur le bouton au-dessus du levier de vitesse qui sert de cran de sûreté. On relâche l’embrayage et on appuie sur la pédale d’accélérateur, et ça part, tout aussi simple qu’une voiture en somme !

Le moteur monte un peu dans les tours avant que le char ne se mette en marche. Le ralenti est très bas, entre 500 et 800 tour/minutes. Le régime maximum ne doit pas dépasser les 2400 tours/minutes. Sans toucher au levier, le char part tout droit. Enfin, il a tendance à tirer vers la droite, aussi de petites corrections avec le levier de gauche sont nécessaires (à avoir parlé avec d’autres collectionneurs, il semblerait que ce soit normal et qu’il ne faille pas s’inquiéter !). Au premier virage, il faut tirer d’un coup sec sur le levier (droit par exemple, pour aller à droite), pour bien freiner la chenille de droite. Il faut accélérer en même temps pour contrebalancer le ralentissement du char et le faire pivoter. Par réflexe, on n’accélérerait pas forcément en tournant, et la sensation est assez étrange, différente bien sûr d’une voiture où ce sont les roues avant qui tournent, mais l’on s’y fait.

Voilà une ligne droite, il est temps de passer la 3ème vitesse. La grille est assez simple finalement. Si on excepte la 1ère et la marche arrière respectivement en haut et en bas à gauche auxquelles on accède en appuyant sur le bouton « cran de sûreté », les vitesses sont disposées en H : 2ème en haut à gauche, 3ème en bas à gauche, 4ème en haut à droite et 5ème en bas à droite. Pas de besoin de double débrayage donc, ces quatre vitesses étant synchronisées : comme une voiture toujours, on synchronise pédale d’embrayage et d’accélérateur, on actionne le levier (toujours avec une certaine force) et on cherche la 3ème : clang !, c’est engagé ! Et ainsi de suite jusqu’en 5ème. Même si la vitesse maximale est d’environ 40/45 km/h, dans un Sherman c’est très impressionnant de voir défiler la route ! Et toujours dans un vacarme assourdissant.

Et finalement pour freiner le char, on tire les deux leviers en même temps pour freiner. Pour rétrograder, ici le double débrayage est mieux tout de même, soulageons cette boîte de plus de 70 ans ! Jusqu’ici, on ne sent pas tellement le poids de 32 tonnes. Ce n’est pas comme un camion. Quand on tourne, même s’il faut y aller fermement avec les leviers, on n’a pas cette sensation de poids dans la direction. Mais lorsqu’on freine on commence déjà mieux à le ressentir. Et par contre dans une descente, alors là, on sent tout le poids de la bête, et il faut s’accrocher pour ne pas le laisser s’emballer.

Voici donc pour les contrôles, plutôt basiques au demeurant (en même temps, c’était prévu pour que les paysans, sortis de leur tracteur et devenus soldat, puissent facilement appréhender l’engin). Pour ce qui est des impressions, c’est tout de même différent d’un simple camion. Il faut toujours avoir le gabarit en tête bien sûr, mais ensuite, on a vraiment un champ de vision très limité. De plus, sa capacité à passer à peu près partout, assez caractéristique des engins à chenilles est une nouvelle chose à appréhender (même s’il faut se méfier des endroits humide, ça glisse quand même !). On arrive quelques fois dans des endroits, en se disant que ça ne peut pas passer, ayant toujours le réflexe du camion ou de la voiture, comme par exemple face à une énorme pierre apparue sur le chemin à force de labourer le circuit en passant dessus. Et finalement on se dit « non mais attends, j’ai un tank ! » et on avance, on écrase ce vulgaire caillou, sans s’en rendre compte… Autre chose qu’il faut avoir à l’esprit : généralement avec une voiture, on fait attentions de ne rien toucher, de peur de rayer sa carrosserie, contre un mur par exemple. Avec un Sherman, on fait attention de ne rien toucher, car ce n’est pas tant le char que l’on va abimer, mais le mur que l’on pourrait faire effondrer ! Avoir en tête également qu’avec les chenilles, un tournant pris trop sèchement peut arracher du bitume !

Conduite trappe ouverte, avec la tête sortie (avec casque réglementaire d’époque, modèle qui a été extrapolé d’un casque de baseball d’époque)

La conduite reste très physique, et l’on peut très vite se fatiguer à gérer les leviers de direction ou changer de vitesse. Ai-je déjà mentionné le bruit également ? Cette grosse masse de métal amplifie l’effet caisse de résonnance. Heureusement, nous sommes la plupart du temps avec des casques à suppression de bruit, nous permettant par la même occasion de communiquer entre nous. Oui, car le maniement d’un char est bien sûr préférable en équipe ! (comme à l’époque me direz vous). Celui en tourelle notamment, a une bien meilleure vue, à 360 degrés et est bine utile à la navigation. Autre sujet à mentionner : la chaleur. Autant en plein hiver, la caisse peut absorber l’humidité, et il fait plus froid à l’intérieur qu’à l’extérieur, jusqu’à ce que le char soit monté en température, mais ensuite, il peut y faire très chaud, la boîte de vitesse étant située juste à côté du pilote. Je me souviens d’une journée d’été où il faisait très chaud à l’extérieur, et la température de la boîte devait être aux alentours de 50 degrés, soit à peu près la température ambiante à l’intérieur du char. Heureusement, n’étant pas au combat, on peut piloter tête sortie, mais j’en ai bu des litres d’eau ce jour là.

Autre passage technique, l’épreuve de la remorque ! Devant la consommation gargantuesque du char (minimum 80 litres à l’heure, quand on roule sur route, sans forcer, et bien plus en tout-terrain, les 250 litres à l’heure ne doivent pas être loin) et la nature « agressive » des chenilles, dès que l’on doit se rendre quelque part avec, le recours à un transporteur est un passage obligatoire. Aussi, il faut donc à un moment donné, mettre le char sur la remorque. Pas le droit à l’erreur, quand on sait que le char a la même largeur que cette dernière. Aussi, la personne qui guide est primordiale dans la réussite de cette opération, il faut lui faire entièrement confiance. La première fois que l’on fait ça, on n’est pas tellement rassuré (les suivantes non plus d’ailleurs !). On se met en ligne droite derrière la remorque enclenche la première et on suit les mouvements du guide. Tout doucement. Quand l’avant du char se retrouve en l’air, je peux vous dire que ça fait tout drôle. Finalement, il retombe sur ses pattes et l’on avance jusqu’au fond de la remorque. Ouf, tout s’est bien passé ! Charge ensuite de bien l’arrimer !

Le Sherman après la montée sur la remorque.

Conclusion

Même si le mieux est toujours de le vivre soit même, voici donc en quelques lignes les impressions que l’on peut avoir en conduisant un tank. Je n’aurai jamais pensé que j’aurai pu faire cela un jour dans ma vie, et un peu par hasard, j’ai pu réaliser ce « rêve », et surtout avec ce qui représente pour moi « LE » char avec « LE » moteur emblématiques, le Sherman à moteur en étoile. Merci à l’UNIVEM de m’avoir fait confiance et de m’avoir confié ce monstrueux engin qui symbolise la guerre, certes, mais également la libération et perpétuant ainsi le souvenir. Car nous nous occupons de ces matériels en temps de paix, parfois l’esprit léger, ne passant que quelques heures aux commandes de ces engins bruyants, inconfortables, sans les fumées des armes ou la peur constante de l’ennemi, et je n’ose imaginer ce qu’ont enduré tous ces hommes pendant les nombreuses années d’une des périodes les plus sombres de notre histoire.



Rédigé en mars 2020

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